Apocalypse Now Redux
Coppola a raconté l’anecdote plusieurs fois : en revoyant Apocalypse Now, il y a quelques années, il avait été frappé comment, l’Histoire du cinéma évoluant à la vitesse du cheval au galop, son grand œuvre était devenu un film comme les autres, ou presque. Un bon film – le cinéaste avoue une tendresse, et on est d’accord avec lui, pour la première heure, et notamment la charge des hélicoptères sur fond de Wagner -, mais plus un film à nul autre pareil, ce qu’il était l’été de sa sortie, en 1979.
Une autre film ?
D’où l’envie de le revisiter, et de retrouver ce « monstre » (à tous les sens du terme) que représentait ce mythique premier montage, vu par quelques happy few. Bon calcul : avec sa nouvelle durée de 3h23, Apocalypse Now redevient un film monumental, réaffirme sa singularité – entamée par tout ce que lui ont volé, depuis vingt ans, les cinéastes hollywoodiens.
Les deux ajouts les plus importants concernent deux séquences assez longues, placées dans la seconde partie du film. Sur leur route pour débusquer et éliminer le colonel Kurtz (Marlon Brando), insoumis transformé en potentat de lâ jungle, Willard (Martin Sheen) et ses hommes vont faire deux nouvelles étapes. D’abord, ils retrouvent les « playmates » – les filles dénudées des pages centrales de Playboy, venues divertir les troupes – transformées en putains à soldats : incroyable séquence tournée sous la pluie et dans la boue (le typhon qui allait détruire les décors commençait son œuvre), premiers signes de la folie qui va peu à peu saisir les personnages du film.
Plus loin, ils accostent dans un brouillard onirique à l’embarcadère d’une plantation tenue par des Français. Scène légendaire d’un dîner de famille où le maître de maison (Christian Marquand) fait l’historique de la présence française en Indochine, et montre dans quelle impasse s’est fourvoyée l’Amérique ; suit la scène où Aurore Clément prépare l’opium de Martin Sheen. Pour Coppola, remonter le fleuve signifiait aussi remonter le temps… Inutile de juger ces fragments pour eux-mêmes : ce qu’elles apportent au film, c’est une gradation beaucoup plus subtile vers la folie et la mort. Le périple trouve son rythme, et le voyage est encore davantage montré comme un voyage intérieur.
Un plaisir intact
A revoir Apocalypse Now aujourd’hui, outre le plaisir immédiat de spectateur – c’est un sacrément bon film américain – on mesure le chemin qu’a parcouru, en vingt ans, le 7ème art. Aujourd’hui, gageons qu’une partie des scènes seraient corrigées aux images numériques, et qu’on ne permettrait plus à un cinéaste-démiurge de partir deux ans dans la jungle philippine et d’en rapporter un film aussi personnel. Apocalypse Now, pourtant, n’aurait pas été le même sans l’aventure, le voyage personnel qu’il a constitué pour Francis Coppola. Les aventures et les voyages des cinéastes d’aujourd’hui nous paraissent autrement plus sages…